Réservé aux espions

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Malgré le risque de licenciement, un employé de l’agence Ketchum nous a fait parvenir une copie du rapport de Betsy Gullickson : « J’ai été très inquiet lorsque j’ai lu que le cancer avait considérablement augmenté chez les enfants, et qu’on ne savait pas pourquoi, explique notre source. Les Américains ont le droit de savoir la vérité sur la campagne des Dancing Raisins et la possibilité que les fruits contaminés soient dangereux pour la santé des jeunes. Dans ce pays, une nouvelle censure s’est mise en place, fondée sur l’argent. »

Sixième agence de lobbying aux États-Unis, Ketchum engrange chaque année plus de 50 millions de dollars nets d’honoraires . Située à New York, elle représente un nombre important de grandes sociétés alimentaires : Dole Foods, Wendy’s, The Potato Board, Oscar Mayer Foods, Miller Brewing, Kikkoman, H J. Heinz et plusieurs associations de producteurs (producteurs de viande, producteurs d’amandes de Californie et viticulteurs de Californie). L’agence Ketchum ne se contente pas d’écrire des communiqués et d’organiser des conférences de presse, elle promeut de façon agressive ses services en matière de « gestion de crise » – spécialité qui se développe dans le secteur du lobbying. Voici comment elle vante son expérience et affirme savoir gérer toutes sortes de problèmes : « Crises provoquées par la découverte de déchets toxiques, voire de déchets nucléaires de faible intensité ; relations avec les populations vivant à proximité des sites d’élimination de déchets du programme Superfund réunions scientifiques où l’on débat de questions comme la toxicité des pesticides.»

L’expertise de Betsy Gullickson en matière de lobbying inclut le « conseil stratégique en marketing alimentaire ». La parution du livre de David Steinman relevait donc du type de « crise » qu’elle était censée savoir gérer. Son rapport esquissait un plan pour « assigner de vastes zones de responsabilité » — dont « la collecte d’informations et de renseignements » — à plusieurs salariés de l’agence Ketchum et à Gary Obenauf, de l’Association des viticulteurs de Californie. Plusieurs mois avant la publication de Diet for a Poisoned Planet, Ketchum chercha à « obtenir une copie du tapuscrit, ou des épreuves du livre, et le programme de la tournée de promotion ». Betsy Gullickson recommanda que des porte-parole de l’association « rencontrent, en tête à tête, les représentants des médias traitant de l’alimentaire mais aussi les publications généralistes de consommateurs s’intéressant aux marchés les plus concernés par le problème. L’agence Ketchum essaie en ce moment d’obtenir le programme de la tournée de promotion afin que nous puissions “prendre en filature” Steinman ; l’idéal serait que notre représentant s’exprime avant l’arrivée de Steinman ou lui porte la contradiction en direct » .

Pour obtenir ces informations, le cabinet Ketchum a utilisé un informateur impliqué dans la campagne marketing du livre. Ce dernier communiqua à l’agence les dates et noms des émissions auxquelles David Steinman devait participer. « Ils ont appelé tous les responsables des programmes, explique notre source au sein de l’agence Ketchum. Leur “liste des médias à contacter discrètement à propos de Steinman” comprenait des journalistes du New York Times, du “Larry King Show” et du Washington Post. Les représentants de Ketchum leur expliquèrent qu’il était injuste de laisser parler David Steinman sans que l’on puisse entendre le point de vue opposé, ou essayèrent de le présenter comme un “extrémiste loufoque sans aucune crédibilité”. »

Ketchum n’était pas la seule agence de lobbying occupée à saboter la campagne de publicité pour Steinman. Jean Rainey, de l’agence Edelman PR, contacta le “Today Show” pour leur proposer des documents critiquant Diet jfor a Poisoned Planet ; il leur suggéra d’inviter « le président de l’Association américaine des diététiciens » afin de contrer les arguments de David Steinman. Apparemment, Jean Rainey réussit son coup puisque Today interviewa Steinman mais ne diffusa jamais le reportage .