Un colosse aux pieds d'argile
Bien que le lobbying à son stade industriel soit un phénomène récent, l’art d’influencer l’opinion publique remonte à l’Athènes antique, première démocratie occidentale. La Rhétorique d’Aristote reste l’un des ouvrages les plus perspicaces jamais écrits sur le sujet. Aristote y reconnaît que la rhétorique pouvait être utilisée pour tromper comme pour éclairer nos croyances. Des orateurs convaincants sont capables d’amener leurs auditeurs à faire des choix déraisonnables. Aristote préconisait donc que la rhétorique soit largement enseignée et comprise afin que les citoyens puissent distinguer les différents arguments et reconnaître les usages manipulateurs de la rhétorique.
Élaborée il y a plus de 2300 ans, l’analyse d’Aristote offre la meilleure solution que nous ayons trouvée au problème de la démocratie à l’époque du lobbying. L’industrie de la manipulation de l’opinion est désormais un acteur très puissant, mais qui recèle un point faible : la mise en lumière de ses activités. Dès que nous avons découvert les techniques de manipulation employées par les consultants, ceux-ci perdent une grande part de leur capacité à nous tromper. (Au Nevada, le président d’Altamira Communications, Don Williams, essaya en 1992 de persuader l’État d’accueillir une décharge de déchets nucléaires : dès que ses activités et celles des agences- conseil de l’industrie nucléaire furent découvertes, l’opinion fut activement mobilisée contre ce projet.)
Les Pères Fondateurs de la Révolution américaine considéraient que la liberté exigeait une vigilance constante. « Chaque homme doit exercer les facultés de son esprit, penser et réfléchir par lui-même. Rien ne l’oblige à obéir aveuglément car il est capable de se forger une opinion aussi précise que possible des mesures de ses gouvernants », écrivit un fermier qui combattait les Britanniques. Christopher Gadsen, autre révolutionnaire américain, pensait qu’il était plus facile d’arrêter l’œuvre des « puissants aux méthodes insinuantes » avant qu’ils « aient marqué un point contre vous » qu après. Aujourd’hui, le prix de la démocratie est le même qu’au temps de Samuel Adams et de Thomas Jefferson.
L’industrie des relations publiques accueille une bonne partie des « hommes talentueux et dissimulateurs » contre lesquels nous devons nous prémunir.
Les agences-conseil cherchent à manipuler l’opinion et la politique gouvernementale. Mais elles ne peuvent y parvenir que si elles demeurent invisibles. Dans une démocratie, chacun a besoin de savoir qui est véritablement au pouvoir, qui prend les décisions, et dans l’intérêt de qui. Nous espérons que notre livre, en révélant les actions et procédés des agences de lobbying, permettra à nos concitoyens d’identifier ces propagandistes de l’industrie et de l’État et de se prémunir contre eux.
Vidéo : Un colosse aux pieds d’argile
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