Les profits de la Grande Guerre
La Première Guerre mondiale donna un coup de fouet considérable à l’industrie des relations publiques. Ivy Lee et d’autres pionniers du domaine participèrent activement à la campagne des gouvernements américains pour mobiliser l’opinion et soutenir l’efiFort de guerre. Le Comité pour l’information publique, dirigé par George Creel, utilisa toute la batterie de la propagande moderne – affiches et panneaux d’affichage, expositions, brochures et encarts publicitaires, journaux, etc. — pour promouvoir la « guerre qui allait mettre fin à toutes les guerres » et « rendre le monde plus sûr pour la démocratie ».
Selon Harold Tobin et Percy Bidwell, auteurs de Mobilizing Civilian America [La Mobilisation de l’Amérique civile], les efforts du comité « constituèrent sans doute la plus efficace des propagandes de guerre que le monde ait jamais connues » ; celui-ci « bombarda sans cesse l’opinion avec des articles enthousiastes décrivant les efforts colossaux de la nation pour soutenir la guerre, soulignant l’écart entre, d’un côté, nos objectifs de guerre et ceux de nos alliés, et, de l’autre, les objectifs de guerre des puissances centrales. Les voix dissidentes furent réduites au silence, soit avec l’aide de la presse, soit en s’appuyant sur les efforts persuasifs des agents du ministère de la Justice » 15. Le comité embaucha 75 ooo « dirigeants civiques » pour délivrer des messages de guerre aux Américains dans les écoles, les théâtres et les groupes civiques. Les émissions publicitaires d’Ivy Lee pour la Croix-Rouge aidèrent cette organisation à passer de 486 000 à 20 millions de membres et à récolter 400 millions de dollars jusqu’à la fin de la guerre. Le comité Creel – du nom de son dirigeant George Creel — recourut également à de vieilles tactiques éprouvées et alimenta l’hystérie guerrière à l’aide de récits décrivant des atrocités fantaisistes et présentant les Allemands comme des hordes de Huns – ou même des animaux .
La guerre démontra le pouvoir de la propagande et conforta la réputation des collaborateurs du comité Creel. De retour à la vie civile, ils offrirent leurs services aux entreprises, leur proposant de faire la transition entre une économie de guerre et une économie de paix. Ils appliquèrent et affinèrent alors les méthodes publicitaires utilisées durant le conflit.
Les années d’après-guerre virent la société d’Ivy Lee défendre à nouveau les Rockefeller au cours d’une guerre privée, en Virginie-Occidentale, entre les propriétaires de mines de charbon et leurs ouvriers. Près de 400 000 mineurs s’étaient mis en grève pour protester contre les conditions de travail dangereuses, les bas salaires et d’autres abus – dont le paiement des salaires en bons de consommation utilisables seulement dans les magasins des compagnies minières, qui pratiquaient des prix surévalués. En réaction, les sociétés de charbonnage embauchèrent des détectives armés de l’agence Pinkerton, le président Warren G. Harding envoya des troupes fédérales, le gouverneur de la Virginie-Occidentale déclara la loi martiale et le shérif corrompu du comté de Logan, Don Chafin, utilisa de l’argent versé par les compagnies minières pour embaucher des jaunes comme « adjoints ». Résultat : 70 mineurs furent tués.
Ivy Lee travailla à laver la réputation des sociétés de charbonnage en publiant des tracts, « La Lampe du mineur » et « Les échos de la mine », qui louaient les œuvres de charité des propriétaires des mines. Un « récit de première main du shérif Don Chafin » révélait « différents faits que l’opinion doit absolument connaître », attaquant les méthodes d’organisation du syndicat, sa façon de collecter des cotisations, et prétendant notamment que « les magasins des compagnies protégeaient les finances des mineurs » .
Ivy Lee fut le consultant le plus demandé de son époque, notamment par les sociétés qui souhaitaient améliorer leur image de marque. Beaucoup d’historiens et de spécialistes le considèrent comme le « père du lobbying ». Mais sa réputation a été ternie à la fin de sa carrière. En 1933, peu avant l’arrivée au pouvoir de Hitler, le cabinet d’Ivy Lee commença en effet à travailler pour le German Dye Trust : comme il devait aider cette société à améliorer les relations germano-américaines, certaines personnes l’accusèrent d’être un propagandiste nazi. En juillet 1934, le New York Mirror publia un article intitulé : « Qui est le cerveau des nazis ? Un collaborateur des Rockefeller ! » En novembre de cette même année, Ivy Lee mourut d’une tumeur au cerveau alors que la polémique battait son plein. Une notice nécrologique dans le Jewish Daily Forward le décrivit comme un « agent du gouvernement nazi » .
Vidéo : Les profits de la Grande Guerre
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