Edward Bernays et la « fabrication du consentement »
La disgrâce d’Ivy Lee permit à un autre pionnier des relations publiques, Edward Bernays, de prétendre au titre de fondateur de cette « industrie ». Une grande parue de la réputation actuelle d’Edward Bernays repose sur ses campagnes persistantes de com’ en faveur de… lui-même. Il tenait en effet à être considéré comme le « publiciste américain numéro un ». Pendant sa carrière, nombre de ses pairs furent offensés par la permanente autopromotion à laquelle il se livrait. Selon Scott Cudip, « Edward Bernays était un personnage brillant ayant connu une carrière spectaculaire, mais c’était aussi un fanfaron ».
Né à Vienne, Edward Bernays était un neveu de Sigmund Freud. Et ses talents contribuèrent à populariser les théories de son oncle aux États-Unis. Il fut l’un des premiers à se servir de la psychologie et d’autres sciences sociales pour concevoir ses campagnes de persuasion : « Si nous comprenons le mécanisme et les motivations de l’esprit d’un groupe donné, il est désormais possible de contrôler et de mobiliser les masses selon notre volonté sans qu’elles le sachent. 20 » Il appelait cette « méthode scientifique » pour façonner l’opinion la « fabrication du consentement».
Une de ses techniques favorites consistait à utiliser des « autorités tierces » plus ou moins à leur insu pour plaider les causes de ses clients : « Utilisez ceux qui ont du pouvoir, avec ou sans leur collaboration consciente, vous influencerez automatiquement le groupe social qu’ils impressionnent. »
Afin d’augmenter les ventes du bacon, par exemple, il effectua un sondage chez les médecins ; après quoi il annonça que les praticiens recommandaient de manger des petits déjeuners consistants 22. Le président Calvin Coolidge, Procter & Gamble, CBS, General Electric et Dodge Motors eurent recours à ses services. Au cours de ses campagnes pour ses célèbres et puissants clients, Edward Bernays s’appropria les techniques de la psychologie et de la sociologie pour mieux atteindre ses objectifs, créant une véritable « science au service de l’esbrouffe ».
« Lorsqu’un client rencontrait Edward Bernays pour la première fois, note Scott Cudip, il l’entendait très vite mentionner sa parenté avec tonton Sigmund. Sa relation avec Freud était omniprésente dans sa réflexion comme dans ses activités de consultant. » Selon Irwin Ross, Bernays aimait se présenter comme une sorte de « psychanalyste pour grandes entreprises stressées ». Au début des années 1920, il fit publier aux États-Unis une traduction en anglais de l’Introduction générale à la psychanalyse de Freud et utilisa cette « autorité familiale » pour établir sa propre réputation en tant que penseur et théoricien — réputation qui s’accrut encore lorsqu’il écrivit lui-même plusieurs livres, dont Crystalizing Public Opinion [Fixer l’opinion publique] et Propaganda.
Pour Bernays, le « consultant en relations publiques » exerçait un métier semblable à celui d’un chercheur en sciences sociales, qui réunirait, dans la pratique, « les compétences d’un ingénieur industriel, d’un expert en gestion et d’un conseiller en investissement dans leurs champs d’activité respectifs », qui doit mettre au service de ses clients « sa connaissance des sciences du comportement (sociologie, psychologie sociale, anthropologie, histoire, etc.) ».
Bernays marqua nettement la rupture entre le lobbying et l’activité des premiers attachés de presse, qui se limitaient plus ou moins à distribuer des prospectus publicitaires. Dans Propaganda, son livre le plus important, Bernays affirma que la « manipulation scientifique de l’opinion » était nécessaire pour dépasser le chaos et les conflits sociaux : « La manipulation consciente et intelligente des habitudes et des opinions organisées des masses représente un élément important dans une société démocratique. Ceux qui contrôlent ce mécanisme social constituent un gouvernement invisible — le véritable pouvoir dirigeant de notre pays. Nous sommes généralement gouvernés par des hommes dont nous n’avons jamais entendu parler, qui nous suggèrent d’adopter leurs idées, modelant ainsi nos esprits et nos goûts. Tel est l’aboutissement logique du mode de fonctionnement de notre société démocratique. Et nous sommes obligés de l’accepter pour pouvoir vivre dans un monde qui fonctionne sans trop d’accrocs. Un nombre relativement réduit d’individus domine presque chaque acte de notre vie quotidienne, la sphère politique, les affaires, nos conduites sociales, notre réflexion éthique, etc. Leur compréhension des processus mentaux et des schémas sociaux des masses leur permet de contrôler directement ou indirectement l’esprit public.»
Cet éloge de la propagande et de la nature secrète et manipulatrice du lobbying contribua à définir ce nouveau secteur d’activité, mais il ne suscita pas une grande sympathie. Dans une lettre au président Franklin Roosevelt, Félix Frankfurter, juge à la Cour suprême, décrivit Edward Bernays et Ivy Lee comme des individus « dont la profession est d’empoisonner l’esprit public, d’exploiter la stupidité, le fanatisme et l’égoïsme ».
Dans son autobiographie, Bernays relate un dîner qui se déroula chez lui, en 1933, au cours duquel Karl von Weygand, spécialiste de l’Europe et correspondant étranger du groupe Hearst, évoqua sa rencontre avec Joseph Goebbels et les plans de celui-ci pour consolider le pouvoir nazi : « Le dirigeant nazi lui avait montré sa bibliothèque de livres de propagande, la meilleure que Weygand ait jamais vue. Goebbels se servait de mon livre Cristallizing Public Opinion pour mener une campagne destructrice contre les Juifs allemands. Cette nouvelle me choqua. Il était évident que les attaques contre les Juifs allemands ne provenaient pas d’une réaction émotionnelle chez les nazis, il s’agissait d’une campagne délibérée, planifiée. »
Vidéo : Edward Bernays et la « fabrication du consentement »
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