Les plumitifs du lobby du tabac
Je vais vous dire pourquoi j’aime fabriquer des cigarettes. Un paquet coûte quelques cents à fabriquer et vous le vendez un dollar. Cela crée une dépendance. Et les consommateurs sont incroyablement fidèles à leur marque favorite.
Warren Buffet, à une époque le plus important actionnaire de R.J. Reynolds
Les fabricants de tabac font partie des premiers et principaux clients de l’industrie des relations publiques. Au début du XXe siècle, ils ont utilisé les techniques psychologiques du marketing pour convaincre les femmes puis les adolescents de consommer leur drogue. Edward Bernays, Ivy Lee et John Hill ont tous travaillé au service de l’industrie du tabac. Leurs techniques pionnières demeurent aujourd’hui le b.a.-ba du lobbying : utilisation d’experts prétendument neutres, messages subliminaux, rapports scientifiques truqués, associations fantoches, publicité « morale », achat d’articles favorables avec les dollars de la publicité, etc.
Avant la Première Guerre mondiale, le fait de fumer était considéré comme vulgaire pour les femmes et efféminé pour ks hommes (ceux-ci fumaient le cigare ou chiquaient). La guerre rendit les cigarettes à la mode pour les hommes et, pendant les Années folles, l’American Tobacco Company requit les services de plusieurs agences de lobbying afin de développer un vaste et nouveau marché – les femmes américaines – pour vendre la marque Lucky Strike. La société embaucha d’abord A D. Lasker, qui présenta les Lucky
Strike comme des cigarettes saines, à l’aide de sondages concoctés à partir de données falsifiées selon lesquels les médecins préféraient cette marque qui « irritait beaucoup moins » la gorge des consommateurs. Lasker réalisa aussitôt de petites interviews publicitaires où de fameuses chanteuses du Metropolitan Opéra, dont la voix de soprano n’avait pas été altérée par le tabac, déclaraient : « Les cigarettes adoucissent votre gorge » ou « Je protège ma précieuse voix avec Lucky Strike. » 1 Edward Bernays avait été engagé par Ligget & Myers, qui fabriquait les cigarettes Chesterfield. Pour ridiculiser leurs rivaux de l’American Tobacco Company, Bernays créa la Société du tabac pour la maîtrise de la voix afin d’ouvrir une maison de repos pour les « chanteurs et acteurs dont les cordes vocales avaient souffert après avoir témoigné en faveur des cigarettes ». La satire fut suffisamment efficace pour que George Washington Hill, PDG de l’American Tobbaco Company, débauche Bernays pour le prendre à son service. Quelque temps plus tard, Bernays apprit que Hill avait également engagé l’agence d’Ivy Lee : « Si je vous ai tous les deux, mes concurrents ne pourront plus faire appel à vos services. »
Afin de persuader les femmes que fumer pouvait les aider à rester belles, Bernays inventa un slogan : « Faites le bon choix : dégustez une cigarette plutôt qu’un bonbon. » La campagne s’appuya sur les préoccupations des femmes concernant leur poids et tripla les ventes de Lucky Strike en l’espace de douze mois. (Aujourd’hui, la marque Virginia Slims [Virginia Mince], fait irrésistiblement penser au slogan : « La cigarette vous permet de garder la ligne. »)
Mais fumer restait un geste tabou pour les femmes « respectables ». Bernays se tourna alors vers le psychanalyste A. A. Brill, qui broda une analyse freudienne : « Certaines femmes considèrent que la cigarette symbolise la liberté. Fumer leur permet de sublimer l’érotisme oral ; tenir une cigarette dans sa bouche excite la zone orale. Il est parfaitement normal que les femmes veuillent fumer des cigarettes. Au départ, les premières fumeuses avaient sans doute un côté masculin surdéveloppé et elles ont adopté cette habitude comme un acte masculin. Mais aujourd’hui, l’émancipation de la femme a supprimé une grande partie des désirs féminins. De nombreuses femmes effectuent le même travail que les hommes. Assimilées aux hommes, les cigarettes deviennent des torches de la liberté. »
L’analyse de Brill incita Bernays à mettre en scène un événement publicitaire légendaire, toujours cité en exemple dans les écoles de consultants. Soucieux de faire passer la cigarette pour un symbole de la libération des femmes, il organisa un défilé de ravissantes débutantes au cours de la grande parade de Pâques à New York. Chacune d’elles tenait une cigarette allumée à la main et proclamait qu’il s’agissait d’une torche de la liberté. Bernays s’assura que les photos publicitaires de ces modèles en train de fumer soient diffusées dans le monde entier5. Durant les décennies suivantes, une avalanche publicitaire et promotionnelle s’abattit sur l’Amérique à travers différents médias : panneaux d’affichage, magazines, films, télévisions et radios. Un marketing mortellement efficace fut construit autour de la cigarette, fondé sur une inébranlable identification avec le sexe, la jeunesse, la vitalité et la liberté. En échange, l’efficacité des campagnes en faveur de l’industrie du tabac renforça la crédibilité des consultants et donna un coup de fouet à leur secteur d’activité.
Vidéo : Les plumitifs du lobby du tabac
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