Politique publique et espionnage privé
Les organisations qui luttent pour des réformes sociales et politiques ont souvent été l’objet de surveillance. Au commencement du mouvement ouvrier, les patrons utilisaient des agences de détectives privés pour infiltrer les syndicats américains. Dans les années 1920 et durant la guerre froide, le gouvernement espionna les communistes et leurs « compagnons de route ». Dans les années i960, le FBI et la police locale enquêtèrent sur des manifestants en faveur des droits civiques ou hostiles à la guerre du Vietnam. Le scandale du Watergate, qui aboutit à la démission de Nixon, commença lorsque des membres de l’équipe présidentielle se mirent à espionner illégalement les opposants politiques du Président. Les révélations sur ces activités provoquèrent la colère populaire et amenèrent le Congrès à adopter une législation restreignant le droit du gouvernement à espionner des citoyens respectueux de la loi.
Dans le secteur privé, en revanche, l’espionnage ne connaît guère de restrictions. La loi fédérale sur les droits civiques, par exemple, s’applique surtout à l’action de l’État. « Ce qui est étonnant, à propos de la surveillance privée, c’est qu’il n’existe pas de protection légale contre elle », explique David Kairys, avocat à Philadelphie .
« Les fonctionnaires de police doivent rendre des comptes, déclare le sociologue Gary Marx. Ils sont censés, en principe, faire au tribunal un rapport circonstancié sur leurs actions ; l’accusé, quant à lui, a le droit de remettre en cause leur version et de présenter ses propres preuves. C’est pourquoi leur pouvoir est limité par l’exclusion des preuves obtenues en violation de la Constitution et l’interdiction de l’incitation au délit. Les systèmes privés de justice, eux, n’ont pas à tenir compte de ces règles. Nous avons toujours cru que l’État, ce Big Brother, menaçait notre liberté, mais ceux qui ont conçu notre Constitution ne se sont guère intéressés aux groupes privés parce qu’à l’époque les grandes entreprises n’existaient pas. L’essor des multinationales a donné naissance à une puissante troisième force. »
En fait, les institutions publiques encouragent parfois le secteur privé à se livrer à des activités interdites à l’État. En 1987, par exemple, les administrateurs des laboratoires publics contactèrent un lobbyiste qui défendait les intérêts des laboratoires de l’industrie biomédicale privée. Ils souhaitaient combattre les défenseurs des droits des animaux, dont les campagnes hostiles aux expériences de laboratoire prenaient de plus en plus d’ampleur. « Les enjeux étaient énormes », affirma dans un rapport Frederick Goodwin, l’un des membres de l’administration fédérale qui mit au point un plan d’action avec le lobbyiste. Son rapport exposait une stratégie permettant à la fois de tenir le gouvernement officiellement à l’écart et d’encourager les sociétés privées à saboter le mouvement pour les droits des animaux. « Partout où c’est possible, les instituts de recherche doivent abandonner les “confrontations ouvertes” avec les autres groupes. Il faut que les laboratoires publics trouvent une façon acceptable de financer certains de ces projets et d’en soutenir techniquement d’autres. » Interviewé par la suite, Goodwin expliqua le raisonnement sous-tendant sa stratégie : « Nous n’avons pas le droit de faire du lobbying. La loi nous l’interdit. Mais toutes les agences fédérales entretiennent des liens avec différents groupes d’intérêts concernés par le domaine d’activité de chaque administration de l’État. »
L’industrie des relations publiques a développé une activité parallèle très lucrative : elle analyse soigneusement les idées et les actions des militants associatifs en se servant d’espions payés, souvent recrutés parmi des individus ayant travaillé pour le gouvernement, l’armée ou des sociétés privées de sécurité. Prenez le fameux « Bud », la taupe qui espionnait la campagne contre le bœuf. En fait, il s’appelle Seymour D. Vestermark Junior. Avant de devenir espion pour les agences-conseil, il travaillait dans l’armée de terre comme analyste pour le ministère de la Défense et rédacteur de rapports. L’un d’eux, « Les points de vulnérabilité de la structure sociale : étude des dimensions sociales d’une attaque nucléaire », présentait des « propositions pour déterminer les conséquences sociales probables d’une attaque nucléaire » afin de prévoir la « réorganisation » et la « relance économique à court et à long terme » . Bud a travaillé ensuite pour un groupe de réflexion au service du président des États-Unis, qui s’intéressait aux « assassinats politiques et à la violence collective ». Le 27 mars 1976, son nom fut brièvement mentionné dans un article du New York Times à propos d’un congrès sur le « terrorisme international ». En 1978, il co-écrivit un livre intitulé Controlling Crime in the School [Comment affronter la criminalité à l’école], ouvrage conçu pour aider les principaux des collèges et lycées à traiter des problèmes tels que « l’utilisation du renseignement pour l’amélioration des relations publiques », « les dilemmes posés par la menace d’un attentat à la bombe », « l’utilisation judicieuse des caméras de surveillance », « l’action des militants extrémistes et leurs schémas d’intervention », « les procédures d’arrestations de masse » et « les raisons pour lesquelles les jeunes détestent les flics » .
Vidéo : Politique publique et espionnage privé
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