Soldats du Christ, en avant !
La Coalition chrétienne a connu un développement remarquable grâce à un « travail de terrain » de haute technicité et solidement financé. Les opérations furent supervisées par Ralph Reed, son directeur exécutif. La Coalition chrétienne est en grande partie responsable du virage à droite de la politique américaine lors des élections de 1994, grâce à une alliance entre chrétiens de droite et grands chefs d’entreprise américains, qui ont mis au point une version modernisée des techniques d’action directe inventées dans les années i960 par la Nouvelle Gauche Techniques si efficaces que même Oliver North, qui s’était trouvé, en 1986, au centre du scandale des ventes clandestines d’armes à l’Iran et de l’aide à la Contra nicaraguayenne, aurait pu être élu sénateur de Virginie en 1994. Il s’agit d’un des rares candidats soutenus par la Coalition chrétienne qui n’a pas été élu cette année- là : un soutien financier massif, une mobilisation énergique des troupes chrétiennes et un message agressif auraient pourtant dû rencontrer un puissant écho chez des électeurs profondément amers…
Ralph Reed est devenu le militant pro-patronal préféré de la droite américaine. Il est systématiquement invité aux conférences organisées par le Conseil des affaires publiques, association politique phare du monde du lobbying. En février 1994, un colloque particulièrement onéreux et réservé à l’élite s’est tenu à Sarasota, en Floride. Ralph Reed y a pris la parole aux côtés des lobbyistes Michael Dunn et Neal Cohen. « Nous assistons à l’émergence d’authentiques associations citoyennes qui vont, à mon avis, déterminer l’avenir de la politique américaine dans les années 1990 et au siècle prochain », a-t-il déclaré aux consultants des plus grandes entreprises américaines rassemblés à cette occasion. Selon lui, les partis démocrate et républicain sont engagés dans un « déclin rapide et irréversible » .
La Coalition chrétienne a rempli ce vide — en créant non un nouveau parti mais ce que Ralph Reed appelle « une ligue civique ». À l’horizon 2000, elle estime disposer, dans les circonscriptions électorales que sont les counties et les pre- cincts, de respectivement 1300 et 175 000 sections Cinq ans après sa fondation en 1990, la Coalition compte plus d’un million et demi de membres, tandis que ses 1200 sections locales bénéficient d’un budget annuel de vingt millions de dollars. « La taille de notre budget annuel et la taille de notre liste de publipostage dépasseront bientôt celles du parti républicain », prédit Ralph Reed. La Coalition chrétienne projette de construire cette base en se dirigeant vers deux groupes démographiques : les catholiques « pro-vie » et les 24 % de l’électorat se définissant comme des évangéliques bom again
Le succès de la Coalition chrétienne est en partie fondé sur un coup de magie technologique. Situé à Chesapeake, en Virginie, son siège est équipé d’un central téléphonique capable de générer cent mille appels durant un seul week- end. Dotée d’un système informatique sophistiqué, elle obtient les résultats des votes de chaque circonscription aux États-Unis, données incluant souvent la liste des élections auxquelles chaque personne a voté et sa participation éventuelle à une primaire pour les démocrates ou pour les républicains. Puis la Coalition fournit ses sections en listes informatiques des électeurs locaux, avec lesquelles chacune construit ce que Ralph Reed appelle « une carte d’identité personnalisée de chaque électeur ». Des volontaires et des salariés (payés cinq dollars de l’heure, ces derniers se voient fixer des quotas) appellent tous les électeurs de la circonscription et leur posent trois questions : « Êtes-vous favorable à l’augmentation des impôts ?» – pour repérer les opinions conservatrices en matière économique ; « Êtes-vous pour ou contre l’avortement ?» – pour repérer les « pro-vie » et les « pro-choix » ; « Quel est le problème local le plus important ?» – la réponse étant codée suivant 43 thèmes décisifs, tels que la criminalité, l’homosexualité et l’humanisme.
Selon Ralph Reed, la Coalition chrétienne remporte un tel succès parce quelle a découvert une donnée fondamentale : ses partisans potentiels ne forment pas un bloc électoral monolithique. Par exemple, de nombreux évangéliques ne militeront pas contre l’avortement mais souhaiteront s’exprimer contre les impôts. Armés de ces profils idéologiques d’électeurs, les candidats soutenus par la Coalition chrétienne peuvent organiser des campagnes de courrier ciblées. « Savoir ce qui intéresse les gens est indispensable », explique Ralph Reed.
Pour illustrer ses propos, Ralph Reed a expliqué aux consultants qui l’écoutaient comment la Coalition a réussi à cibler Sonny Stallings, nouvel élu démocrate du comté de Virginia Beach : « En 1991, il y avait un sénateur [Stallings] que ni nous, ni les milieux patronaux, ni la Nadonal Rifle Association n’appréciions. Ce monsieur se préparait à participer aux élections pour devenir attorney général [procureur] deux années plus tard. Aucun d’entre nous ne souhaitait lui laisser la moindre chance d’être élu parce que, en Virginie, la fonction d’attorney général fournit un bon atout à qui souhaite devenir gouverneur un jour. Nous nous sommes dit qu’il serait bien plus économique pour nous de le renvoyer tout de suite dans son cabinet d’avocat que de tenter de l’écarter dans le cadre d’une élection au niveau de tout l’État de Virginie. »
Reed et ses amis ont travaillé discrètement à étouffer dans l’œuf les ambitions politiques de Stallings et ils ont aidé un républicain chrétien, Ken Stolle, à lui ravir son siège. La Coalidon chrétienne a analysé les préoccupations des électeurs et découvert qu’ils s’inquiétaient particulièrement d’un problème : le délabrement du système municipal d’alimentation en eau potable. Ensuite, la Coalidon a aidé Stolle, qui représentait un point de vue plus conservateur, favorable à la famille et aux intérêts des chefs d’entreprises, à envoyer des lettres personnalisées aux électeurs. Le courrier arriva le samedi précédant l’élection. À ceux qui s’étaient souciés de la distribution de l’eau potable, Stolle se présenta comme le « candidat de l’eau » ; à ceux qui s’étaient inquiétés de la criminalité, Stolle promit qu’il « lutterait contre la délinquance » ; etc. C’est ainsi que la Coalition chrétienne réussit à faire élire un républicain de droite dans une ville que les démocrates tenaient depuis la Reconstruction, c’est-à-dire depuis la fin de la Guerre de Sécession.
Ralph Reed offre également les services de la Coalition chrétienne aux grandes entreprises qui veulent mobiliser les citoyens sur des questions très éloignées de ses diatribes habituelles contre l’avortement, les préservatifs ou la laïcité. Reed a reconnu que de nombreux consultants réunis à Sarasota ne partageaient pas son opinion sur ces sujets, mais qu’ils pouvaient défendre les mêmes positions sur, par exemple, l’environnement — surtout « lorsqu’une grande entreprise est harcelée » par des militants… La Coalition chrétienne a également contribué à la défaite de Clinton en 1994, lorsque ce dernier tenta de faire passer une réforme de la santé. Reed fit placer trente-deux millions de cartes postales dans les 60 000 églises évangéliques. La photo représentait un enfant de quatre ans en train de recevoir une piqûre. Et la légende proclamait : « Ne laissez pas un bureaucrate s’en mêler. »
Vidéo : Soldats du Christ, en avant !
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