L’industrie du mensonge : Vous voyez bien que c'est bon pour vous !
En 1992, l’Agence pour la protection de l’environnement accorda une subvention de 300000 dollars à la Fédération des milieux aquatiques – cette « organisation technique et éducative à but non lucratif » ayant pour « mission de préserver et d’améliorer l’environnement aquatique global » – afin de financer « l’éducation de la population » en ce qui concerne « les utilisations bénéfiques » des boues.
Une fois séchées, les boues d’épuration de Milwaukee se vendent depuis 70 ans sous le nom de Milorganite, engrais pour pelouses et jardins. D’autres villes produisent des dérivés de leurs boues : Nu-Earth à Chicago, Nitrohumus à Los Angeles et Hou-actinite à Houston . Au début des années 1980, le Milorganite contenait des taux élevés de cadmium, métal lourd et toxique. L’emballage du produit comportait d’ailleurs une mise en garde : « Ne pas utiliser dans les potagers, les cultures vivrières ou les vergers. Consommer des aliments cultivés sur du sol enrichi au Milorganite peut être dangereux pour la santé. 25 » Mais les lois fédérales actuelles n’imposent plus cet avertissement sur la plupart des produits dérivés des boues. Ainsi les consommateurs ne savent généralement pas que des dizaines de milliers d’hectares, des pâturages du Midwest aux bois de citronniers de Floride et aux vergers de Californie, sont systématiquement « enrichis » par des dérivés de déchets industriels et d’excréments humains. En théorie, on pourrait se croire revenu à l’honorable système naturel du compostage… mais les fermiers des siècles passés n’avaient pas à s’inquiéter de la présence dans leur « fumier » d’un bouillon de dioxine, d’amiante, de DDT et de plomb susceptible de les contaminer eux, leur nappe phréatique et leur alimentation.
« Je suis effondré de constater ce manque total de respect pour la santé humaine. L’Agence pour la protection de l’environnement se livre à une promotion active – une vraie intox – pour convaincre des municipalités de se lancer dans des projets de compostage de boues d’épuration », déclare l’épidémiologiste Melvin Kramer. Ce spécialiste des maladies infectieuses se penche sur la question depuis la fin des années 1970. Selon lui, ce traitement des boues représente « un risque important pour la santé de la population en général, mais surtout celle des personnes âgées, des enfants et des malades, les conséquences pouvant aller jusqu’à des risques de maladies potentiellement mortelles, au-delà des réactions allergiques ou des nuisances olfactives excessives ».
Stanford Tackett, chimiste spécialisé dans la contamination par le plomb, s’est intéressé à la teneur de ce métal dans les boues : « L’utilisation de boues d’épuration comme engrais représente aujourd’hui une menace plus importante par rapport au plomb que l’emploi du carburant au plomb. Toutes les boues d’égout en contiennent de fortes concentrations à cause de la nature du procédé d’épuration. Le plomb est un poison hautement toxique et cumulatif. L’empoisonnement par le plomb peut provoquer de graves retards mentaux et même la mort. On sait maintenant qu’il interfère avec le processus de formation du sang, le métabolisme de la vitamine D, le fonctionnement des reins et les processus neurologiques. Déjà, de ce seul point de vue, les boues ne sont “sans danger” qu’à condition d’accepter un QI diminué pour les jeunes enfants vivant dans le voisinage. Que dire alors des autres substances toxiques ? » Tackett est consterné de voir « le gouvernement utiliser l’argent des contribuables à une fin si odieuse. Le programme d’épandage de boues d’épuration prend d’énormes proportions tout en ne répondant qu’à des intérêts financiers. Les justifications grandiloquentes du genre : “Les boues sont une ressource bénéfique” ou “Les boues sont aussi sûres que le fumier” ne sont que des mensonges habiles destinés à tromper l’opinion. En vérité, seuls 1 à 3 % des boues sont utiles aux plantes. Les 97 % à 99 % restants représentent des déchets contaminés qui ne devraient pas être répandus à proximité de l’habitat humain. L’épandage de boues d’épuration, qui n’est pas une vraie méthode d’“élimination”, sert plutôt à faire passer les polluants des boues de l’usine de traitement dans les sols, dans l’air et dans la nappe phréatique du site d’épandage. »
Mais pas à quel point c’est bon pour nous…
Tackett condamne aussi la « science sélective » et le « détournement des fonds destinés à la recherche », utilisés pour rationaliser l’utilisation des boues en agriculture. « L’Agence pour la protection de l’environnement et d’autres agences au niveau fédéral, étatique et local ont distribué des millions de dollars pour financer la recherche sur les “utilisations bénéfiques”. Toxicologues, spécialistes de la santé publique et chercheurs en médecine ne disposent pas de telles sommes pour étudier les dangers potentiels et les effets néfastes des boues d’épuration sur la santé. Il n’est donc pas étonnant que les scientifiques choisis par l’Agence pour la protection de l’environnement afin de siéger dans les comités consultatifs sur les boues soient justement des chercheurs en “utilisation bénéfique” et que les seuls rapports jugés acceptables pour l’adoption de nouvelles réglementations sur l’épandage des boues soient des études menées dans cette optique. Les affirmations selon lesquelles les boues ne présentent “aucun danger” font sinistrement écho à certaines déclarations passées du genre : “Le DDT ne présente aucun risque” ou “L’amiante est une fibre miracle absolument inoffensive.” »
En fait, les chercheurs, défenseurs, régulateurs et professionnels de l’utilisation des boues en agriculture forment un groupe étroitement lié. Alan Rubin, par exemple, a été responsable du département de gestion des boues de l’Agence pour la protection de l’environnement, où il a supervisé le développement de nouvelles réglementations pour leur utilisation comme engrais dans l’agriculture. En 1994, l’Agence pour la protection de l’environnement détacha Rubin à la Fédération des milieux aquatiques tout en continuant à payer la moitié de son salaire. Aujourd’hui, Rubin a abandonné sa casquette de régulateur pour chanter à temps plein les louanges des « biosolides ». À ce titre, il effectue à travers le pays des tournées de propagande, en compagnie de Nancy Blatt, durant lesquelles il rencontre la presse, discute avec les hommes politiques et répond vertement aux critiques.
Terry Logan, qui enseigne la chimie des sols à l’université de l’État d’Ohio, vante lui aussi les mérites des boues : il ne se soucie guère des contradictions d’intérêts entre ses différentes fonctions. Il est coprésident du comité d’évaluation par les pairs de l’Agence pour la protection de l’environnement, qui décrit ce groupe comme « le meilleur rassemblement de compétences et d’informations scientifiques » susceptible d’aider à peaufiner les récentes réglementations fédérales et à alléger les restrictions pesant sur l’utilisation agricole des boues. Logan perçoit également 2400 dollars par mois en tant que consultant et membre du conseil d’administration de N-Viro International Corporation. Cette entreprise a développé un procédé patenté pour convertir les boues en engrais en les mélangeant avec de la poussière de four à béton et en séchant le tout à très haute température pour tuer les germes. N-Viro, client de l’agence Hill & Knowlton, s’occupe de l’épuration et de l’élimination des boues pour des stations d’épuration du New Jersey, du Minnesota, de l’Ohio et de Harsham en Angleterre. Sur recommandation du comité coprésidé par Logan, l’Agence pour la protection de l’environnement a modifié ses réglementations du paragraphe 503 en augmentant la quantité de métaux lourds autorisée dans l’engrais aux boues. Lorsque Logan s’efforçait de faire assouplir les nouvelles réglementations, avait-il le choix ? Il savait bien que leur durcissement aurait fait chuter la valeur de ses stock-options chez N-Viro .
Malgré ses nombreux clients, la situation financière de N- Viro n’est pas brillante. Depuis 1993, la valeur de l’action a chuté de 9,5 à 1,5 dollar , principalement à cause des lenteurs du projet de recyclage des boues dans l’agriculture. C’est pourquoi l’entreprise compte sur les agences-conseil et sur Alan Rubin pour l’aider à surmonter ces obstacles politiques. En 1994, l’Agence pour la protection de l’environnement a décerné à Logan le titre d’« homme de l’année » et le Congrès américain a attribué à N-Viro, ainsi qu’au Conseil du compost et à l’institut Rodale, une subvention de 300 000 dollars pour les aider dans la promotion de leur produit.
Des critiques à l’encontre de la politique des boues menée par l’Agence pour la protection de l’environnement sont nées au sein même de cette institution. William Sanjour a passé seize ans à superviser des programmes de gestion de déchets dangereux. En 1990, il a évoqué devant le sénat de Géorgie les « étroites relations de travail nouées avec des agents gouvernementaux bercés par les énormes profits réalisés dans le secteur du traitement des déchets . Les exemples abondent. Le pouvoir de cette industrie sur les actions du gouvernement augmente avec sa facilité à embaucher des agents gouvernementaux de réglementation. Plus de trente fonctionnaires du gouvernement fédéral ou des États, dont un ancien administrateur régional de l’Agence pour la protection de l’environnement à Atlanta, sont passés à ce secteur, et ce seulement dans le Sud-Est. Cette pratique touche les plus hauts échelons de l’administration. William Ruckelshaus, ancien administrateur de l’Agence pour la protection de l’environnement et proche conseiller du président Bush Senior, est devenu le PDG de la deuxième plus importante société de traitement des déchets en Amérique. On lui attribue d’ailleurs la nomination de William Reilly à sa succession. Face à ces jeux d’influence et de pouvoir, essayer de mettre sur pied un programme intelligent de réduction des déchets dangereux est aussi absurde que de tenter de rationaliser un projet de ponte dans un poulailler après y avoir laissé entrer un renard ».
Vidéo : L’industrie du mensonge : Vous voyez bien que c’est bon pour vous !
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