Quand les billets verts pleuvent sur les leaders verts
Dans Going Green, E. Bruce Harrison annonçait la mort du militantisme écologiste et la naissance d’un « écologisme » favorable à l’entreprise : « Le mouvement militant, né au début des années i960, parallèlement à la critique des pesticides formulée dans Le Printemps silencieux, a succombé à son succès durant ces quinze dernières années environ. » Pour lui toutefois, le « succès » n’est synonyme que de richesse et d’accès au pouvoir dans les assemblées dirigeantes du pays. Comme le fait remarquer Harrison, le militantisme écologiste est passé, après la première Journée de la Terre en 1970, d’un mouvement populaire à un ensemble d’organisations professionnelles concurrentes ; autrement dit, il s’est transformé en une bureaucratie multimillionnaire de l’environnement, logeant dans des bureaux luxueux au centre de Washington, coupée de ses racines militantes et de toute représentativité significative sur le terrain. Avec leurs directeurs exécutifs aux salaires à six chiffres, les grandes organisations environnementales sont étroitement dirigées par des conseils d’administration qui intègrent de plus en plus de représentants des 500 plus grosses entreprises recensées par le magazine patronal Fortune — dont certaines agences de lobbying. Ces associations n’ont plus grand-chose à voir avec leurs adhérents, auxquels elles se bornent à expédier leurs appels de fonds sur des imprimés publicitaires bien tournés.
Malgré un statut juridique spécifiant leur caractère à but non lucratif, les principales organisations écologistes actuelles sont avant tout, selon Going Green, de grandes entreprises commerciales. De l’avis de Harrison, elles veulent surtout « garder la main sur la poule aux œufs d’or de l’écologisme » ; et leur but réel « n’est pas de faire triompher leur cause mais de perpétuer leurs moyens d’existence ». Les dirigeants des plus puissants groupes verts se soucient surtout de rassembler des fonds auprès de particuliers, de fondations et, de plus en plus, d’entreprises. C’est pourquoi ils ont choisi d’adopter un profil public « respectable », acceptant notamment de discuter avec les consultants pour parvenir à des accords avec les industriels. Ces consortiums écologistes se placent ainsi exactement sur le terrain souhaité par leurs corrupteurs : en situation d’être compromis par la collaboration avec les chefs d’entreprises.
Ainsi certaines des organisations vertes les plus importantes et les mieux connues — telles l’Izaak Walton League, la Fédération nationale de la faune et de la flore et la National Audubon Society – bénéficient du soutien, de la reconnaissance et de financements importants provenant d’entreprises polluantes, qui s’offrent une « image verte » renégociée plusieurs millions de dollars sur le marché de la consommation. L’agence Harrison passe une grande partie de son temps à aider ses plus gros clients à bâtir, autour de problèmes précis, des coalitions, des partenariats et des alliances avec des écologistes triés sur le volet pour leurs affinités avec les chefs d’entreprise.
Pour Bruce Harrison, le mariage entre le géant du fast-food McDonald’s et le Fonds pour la défense de l’environnement symbolise le partenariat idéal. Suite à l’organisation par les Citoyens contre les déchets dangereux d’une campagne nationale contre les emballages en mousse de plastique utilisés par McDonald’s, le directeur exécutif du Fonds pour la défense de l’environnement, Fred Krupp, surgit pour négocier une entente très médiatisée, base d’un « partenariat » permanent avec le mastodonte de la restauration rapide. Krupp remporta ainsi une « victoire », que son organisation place en haut de la liste dans ses campagnes de recherche de financement et dont la mise en avant permit à ces « défenseurs de l’environnement » de récolter plus de 17 millions de dollars en 1993 et de payer à Fred Krupp un salaire et de nombreux avantages dépassant les 200000 dollars par an .
« À la fin des années 1980, écrit Harrison, McDonald’s connaissait son pire niveau de ventes — et la campagne lancée contre l’entreprise par les militants verts en était au moins en partie responsable. Percevant une ouverture possible chez le roi du fast-food, Krupp s’est alors montré prêt à discuter.» Selon Krupp, la mission du Fonds pour la défense de l’environnement n’est pas d’attaquer les entreprises mais « d’obtenir des résultats pour l’environnement ». Ainsi qu’il le déclara au New York Times : « Être prêt à envisager de nouvelles formes de réglementation et à parler la langue des entreprises pour dialoguer avec elles n’a rien à voir avec admettre des compromis sur des demi-mesures. » Cependant, McDonald’s a été le principal bénéficiaire de l’accord : le géant du fast-food serait actuellement en tête des entreprises américaines en ce qui concerne le respect de l’environnement. À l’occasion de la 25e Journée de la Terre en 1995, McDonald’s imprima des slogans en faveur du recyclage sur les millions de sacs en papier et de gobelets qu’il utilise ; et le soutien du Fonds pour la défense de l’environnement lui permet de faire croire aux consommateurs qu’il a pris là une initiative importante .
Pendant ce temps, rien ne change : McDonald’s continue à polluer massivement, à engager à bas salaire une main- d’œuvre non syndiquée et à vendre des produits surchargés en graisses et fabriqués à coups de pesticides dans des élevages industriels ; sa diffusion dans le monde entier se fait toujours à travers un système de franchise qui détruit la diversité culturelle et l’autonomie économique des populations locales ; et sa publicité omniprésente cible les enfants et les jeunes en mettant en avant des stars du sport, millionnaires idéalisés. Et lorsqu’un groupuscule d’écologistes londoniens eut l’audace de critiquer McDonald’s dans un tract dénonçant sa politique destructive, la multinationale recourut sans hésiter aux lois britanniques les plus réactionnaires sur la diffamation.
Dans son livre Losing Ground, Mark Dowie considère l’accord entre le Fonds pour la défense de l’environnement et McDonald’s comme exemplaire de la « capitulation de haut niveau qui permet à des multinationales de se fabriquer une image écologiste aux antipodes de la réalité. Les entreprises ont su exploiter ce genre de compromis qualifiés de “victoires sans perdants”. Elles rivalisent pour se montrer plus vertes les unes que les autres en finançant une couverture médiatique ou publicitaire. Le fait que les écologistes entrent dans le jeu et fabriquent de faux triomphes souligne le désespoir et la crise morale qui menacent les grandes organisations vertes ».
Pendant ce temps, des milliers de citoyens s’opposent activement aux agressions de l’environnement et aux menaces que font peser sur la santé publique certains industriels. Les grandes organisations vertes les dépouillent, pompant l’essentiel des fonds qui proviennent des riches philanthropes comme des modestes sympathisants, qui procurent pourtant au mouvement sa seule légitimité — sans rien en retour. Les consortiums écologistes cherchent désormais surtout à éviter toute confrontation qui pourrait donner la parole (et le pouvoir) aux citoyens. La tactique agressive des militants de base reste en effet, selon Harrison, l’arme la plus puissante des verts : « Ce qui est moteur dans le fait de “verdir” son image et dans l’impact de l’écologisme sur la politique publique est ce que j’appelle le “syndrome MMP”, la synergie militants- médias-politiciens. Les militants attisent le conflit, distribuant les rôles de “victimes” (particuliers ou services publics) et de “salauds” (le plus souvent les entreprises). Les médias réagissent au conflit et le font connaître à l’opinion. Les hommes politiques réagissent aux médias et aux problèmes et agissent pour protéger les “victimes” et punir les “salauds” par des mesures législatives et des réglementations. »
Vidéo : Quand les billets verts pleuvent sur les leaders verts
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