Bas les masques !
Les pleurs hypocrites versées après la disparition d’Earth Day USA illustrent parfaitement la crise qui touchait le mouvement écologiste au début des années 1990. La stratégie du « gentil flic » utilisée pour bercer et endormir les écologistes avait remporté un succès éclatant. L’élection d’une majorité républicaine au Congrès tarit la manne pour les grandes organisations nationales vertes, remisées au musée des accessoires d’une période de « libéralisme clintonien » dépassé. Le nouveau Congrès ne perdit pas de temps pour se débarrasser des réglementations votées précédemment, les plus grandes réussites du mouvement vert. Les professionnels du lobbying pour l’environnement – déjà coupés de leur base, qu’ils avaient écartée – furent incapables d’exercer la moindre pression significative sur les législateurs. Désespérés, certains écologistes rédigèrent une pétition à l’intention de l’ancien professeur d’écologisme, Newt Gingrich, qui avait orchestré leur disparition .
Les entreprises avaient gagné sur toute la ligne, à tel point que les consultants conseillèrent à leurs clients de se retenir de jubiler : « Les lobbyistes verts [devraient] se laisser porter le plus loin possible par le contrecoup anti-écologiste favorisé par les républicains. Les “consultants verts” se font fort de prouver leur valeur à leurs clients. Ces bureaux sont prêts à se rendre à Washington afin d’explorer le maquis des réglementations, de sélectionner les plus gênantes pour leurs clients et de convaincre les législateurs de les jeter à la poubelle. f… Mais] attention de ne pas être trop gourmands. Leur appétit démesuré pourrait se retourner contre eux, lorsque les républicains favorables aux entreprises auront passé la main et que les verts auront de nouveau le vent en poupe ». Michael Kehs, directeur de l’agence Burson- Marsteller, donna le même conseil : « Ne vous montrez pas gourmands en vous plaignant du coût élevé de la mise en conformité avec les lois vertes. Cela risquerait de mettre en danger des années de bonnes actions et de positionnement attentif des entreprises. Le monde des affaires a aujourd’hui toutes les cartes en main. Un nouveau contrat vient de sortir ; et même si le mot “environnement” n’est jamais mentionné, c’est moins, pour de nombreux observateurs, un “contrat avec l’Amérique » qu’“un contrat sur [la tête] des fouineurs écolos”. C’est le moment idéal pour tendre le rameau d’olivier.»
Dans ce contexte, la publication par Earth Day 1995 de A Moment on the Earth : The Corning Age of Environmental Optimism [Un moment décisif pour la Terre : le triomphe prochain de l’optimisme écologiste], exercice de sophistique de 745 pages commis par Gregg Easterbrook, constitua un affront supplémentaire pour les militants verts en pleine déconfiture. « Annulez vos projets pour la fin du monde, la planète Terre est vivante et se porte bien », clamait une pleine page de publicité pour ce livre dans le New York Times . Dans ce pamphlet partial et mensonger, Gregg Easterbrook avançait sa doctrine béatement optimiste,l’« écoréalisme ». Se prétendant de gauche et écologiste, ce journaliste « objectif » a offert aux lobbyistes du greenwashing leur meilleur manifeste paru à ce jour .
Évidemment, malgré le conseil « d’éviter d’en rajouter », les lobbyistes se positionnaient déjà pour un combat où tous les coups contre les verts seraient permis. Solidement installées aux commandes en politique, les entreprises polluantes pouvaient freiner leurs tentatives de recrutement et la formation de partenariats avec les groupes écologistes. Comme le reconnaissait PR News, porte-voix des agences-conseil, « depuis la première Journée de la Terre, il y a plus de vingt ans, une génération de consultants s’est habituée à porter une casquette verte ». Mais aujourd’hui, conseillait l’article, la montée de l’anti-écologisme « offre aux lobbyistes la possibilité de soutenir non plus l’écologisme d’entreprise », mais les groupes furieusement anti-écologistes de Wise Use . En fait, les agences Hill & Knowlton, Burson-Marsteller, Edelman, Shandwick, Fleishman-Hillard, Bruce Harrison et autres adeptes du greenwashing travaillaient depuis le début pour Wise Use. Ces sociétés pouvaient donc enfin dévoiler leurs préférences, puisque leurs tactiques de cooptation avaient mis les vrais verts en déroute.
Wise Use avait été créé par Alan Gotdieb et Ron Arnold, respectivement fondateur et directeur de Bellevue, le Centre
pour la défense de la libre entreprise basé à Washington — « think tank et centre de formation essentiel pour Wise Use ». Parmi les sociétés ayant financé la fondation de Bellevue, on trouve les entreprises du secteur du bois Georgia-Pacific, Louisiana-Pacific, Boise Cascade, Pacific Lumber et MacMillan Bloedel, aux côtés d’Exxon et DuPont. Wise Use applique un programme simple : « Nous avons l’intention de chasser tous les écologistes en leur substituant à chaque fois un membre de Wise Use », explique Ron Arnold.
En fait, l’industrie du lobbying est étroitement mêlée à Wse Use depuis sa fondation. De plus, trente-six des grandes entreprises finançant Wise Use ont été clientes de l’agence Burson-Marsteller dans les années 1980, époque où les industriels ont commencé à organiser et à financer un anti-écologisme très actif à la base.
Pour recruter et mobiliser ses troupes, Wse Use emploie les techniques courantes en lobbying, notamment la création d’organisations-écran : « Des associations militantes de citoyens favorables aux industriels peuvent faire des choses que ceux-ci ne peuvent faire », explique Ron Arnold. S’exprimant franchement devant l’Association des industries forestières de l’Ontario, celui-ci exposa les bénéfices d’une stratégie à base de groupes citoyens bidons : « Vous pourrez ainsi créer des coalitions qui vous donneront un poids politique réel, défendre efficacement et de manière convaincante votre secteur, mais aussi faire appel à des archétypes puissants et efficaces : le caractère sacro-saint de la famille, les vertus d’une communauté soudée, la sagesse naturelle de l’habitant des campagnes et bien d’autres vertus que vous imaginez sans aucun doute. Vous attaquerez intelligemment les écologistes et sèmerez la zizanie dans leurs rangs au lieu de vous contenter de toujours réagir à leurs initiatives. Enfin, vous retournerez la population contre vos ennemis. »
Le premier congrès de Wise Use, en 1988, a été soutenu par un éventail d’intérêts privés, dont Exxon et la National Rifle Association. Le grand moment du congrès fut la présenta- don du programme de l’association par Alan Gotdieb, qui énuméra notamment les objectifs suivants : reformuler la loi sur les espèces en danger pour enlever de la liste des espèces protégées celles qui sont « non évolutives », par exemple le condor de Californie ; rechercher immédiatement des gisements de pétrole dans la réserve nationale de l’Arctique ; permettre sur toutes les terres publiques l’extraction de minerai et la production d’énergie, notamment dans les parcs nationaux et les zones inhabitées ; transférer le développement des parcs nationaux à des « sociétés privées compétentes en matière de circulation du public, Walt Disney par exemple » ; appliquer des peines civiles à toute personne s’opposant légalement à « l’action ou au développement économique sur les terres fédérales ».
Le congrès de 1990, financé par Chevron, Exxon, Shell Oil et Georgia-Pacific, proposait une conférence de Reed Irvine. Ce membre des groupes Exactitude dans les médias et Exactitude à l’université, présenta un exposé intitulé « Du rouge au vert », où il définissait l’écologisme comme la plus récente incarnation du socialisme . (Les organisations menées par Irvine sont financées notamment par Dresser Industries, Chevron, Ciba-Geigy, Exxon, IBM, Kaiser Aluminum & Chemical, Union Carbide, Phillips Petroleum, les fondations Mobil et Texaco.)
À ce même congrès, une organisation de droite, la Fondation juridique des États des montagnes Rocheuses – financée par Amoco, Exxon, Ford, Texaco, Phillips Petroleum, Chevron et la fondation Coors – anima trois séminaires sur les « Poursuites judiciaires contre les organisations écologistes » : « Notre intention est d’attaquer les groupes écologistes en justice chaque fois que nous trouverons une raison légale de le faire, déclara Ron Arnold. Pour nous, quand un écologiste ment et que ses mensonges causent des dommages économiques à qui que ce soit, il s’agit d’un délit civil qui, selon la loi américaine, doit faire l’objet de poursuites vigoureuses. » En cas d’échec au tribunal, certains anti-écologistes préconisent des tactiques encore plus « musclées ». James Watt, ancien secrétaire d’État à l’intérieur (celui qui, en 1966, admit devant la justice avoir tenté d’influencer un grand jury fédéral ‘), déclara à une assemblée d’éleveurs de bétail en juin 1990 : « Si les ennuis provoqués par les écologistes ne peuvent pas se régler entre jurés ou dans les urnes, il faudra peut-être faire parler la poudre.»
Vidéo : Bas les masques !
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : Bas les masques !
https://www.youtube.com/watch?v=_IwppBXSatQ