Le lobby des dictatures et des militaires
Le io octobre 1993, le quotidien de Bogotá El Tiempo rapporta avec satisfaction les paroles que Bill Clinton prononça lors d’une réception donnée en l’honneur du nouvel ambassadeur de Colombie aux États-Unis. Le président américain fit l’éloge de ce « partenaire commercial apprécié […], l’un de nos plus solides alliés, non seulement dans notre combat pour libérer le monde du fléau du trafic de drogue, mais aussi dans notre lutte pour voir la démocratie fleurir et le règne de la loi prévaloir dans cette région. Plus que toute autre nation de cet hémisphère, la Colombie a souffert des exactions des trafiquants de drogue. Le courage qu’a montré votre peuple à tous les niveaux, du Président aux procureurs, en passant par les policiers des villes et les soldats des campagnes, mérite notre respect et nos remerciements ».
Le lendemain, un groupe de « soldats des campagnes » tua trois paysans et jeta leurs corps devant la résidence de l’évêque catholique de Tibú, dans la région de Santander, en Colombie. Monseigneur Luis Madrid Merlano condamna les assassinats et révéla que les soldats avaient insisté pour que les cadavres restent exposés en pleine rue pendant trois heures. L’armée colombienne se défendit en accusant ces paysans d’être des guérilleros, des « subversifs ». Luis Madrid Merlano répondit : « Le propriétaire de la ferme où ils travaillaient m’a affirmé qu’ils étaient à son service depuis plus de vingt mois et que la femme assassinée était la cuisinière de confiance de la maison. »
Les « policiers des villes » et « les soldats des campagnes » de Colombie commettent des atrocités semblables tous les jours. La situation effrayante des droits de l’homme dans ce pays a incité Amnesty International à publier en 1994 un rapport spécial intitulé « Mythe et réalité ». Ce texte tenait les forces gouvernementales pour responsables de la plupart des violations des droits de l’homme. Des rapports similaires ont été établis par d’autres organisations, comme Americas Watch et la Commission inter-américaine des droits de l’homme de l’Organisation des États américains. La Commission andine des juristes, organisation qui possède une représentation à Bogota, a démontré que la police et les forces armées sont responsables de 70 % des meurtres politiques perpétrés, au rythme de douze par jour, depuis 1993. Les organisations des droits de l’homme estiment qu’au moins 300 000 personnes ont fui leur région pour se réfugier soit dans une autre zone du pays soit à l’étranger (environ 150000 en Équateur). Parmi les 264 syndicalistes assassinés dans le monde entre janvier 1990 et mars 1991, plus de la moitié, selon la Confédération internationale des syndicats libres (Bruxelles), sont Colombiens.
Lorsque Clinton a exprimé son « respect » et ses « remerciements » aux responsables et aux auteurs de ces crimes, la situation avait un côté irréel et absurde. D’autant plus que le président américain a déclaré dans le même discours : « Tous ceux qui violent les droits de l’homme, quelle que soit leur idéologie ou leur position, doivent être sévèrement et rapidement punis. » Mais Clinton ne faisait que formuler une idée très répandue aux États-Unis : les problèmes des droits de l’homme en Colombie ne seraient que des effets secondaires de la « guerre contre la drogue » menée par l’État. Comme l’explique Marcela Salazar, membre de la Commission andine des juristes, cette perception résulte d’une campagne de lobbying soigneusement peaufinée par le gouvernement colombien. « Ils se présentent comme des victimes. “La situation est très difficile pour nous, affirment- ils, nous nous battons contre les trafiquants de drogue et parfois cela cause certains problèmes.” […] Ils diffusent une bonne image d’eux-mêmes et prétendent même être à l’avant-garde de la lutte pour les droits de l’homme, mais il faut observer leurs actes. »
Vidéo : Le lobby des dictatures & des militaires
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