« Non, Sire, c'est une révolution… »
Lynn Tylczak n’est qu’un exemple parmi d’autres d’une génération de contestataires prêts à dénoncer les méfaits de la société industrielle américaine. La plupart d’entre eux se lancent dans l’aventure après avoir subi un préjudice personnel. Il s’agit fréquemment d’individus, ou de petits groupes de citoyens, bien décidés à lutter sur le plan local, et dans l’immédiat, contre une menace qui pèse sur leur vie, leur ville ou leur voisinage. Ils sont souvent traités avec mépris par les écologistes professionnels, les défenseurs de la santé publique ou d’autres organismes d’intérêt public siégeant à Washington. En général, ils manquent d’argent et d’expérience. Ils ignorent comment monter un dossier ou un budget qui leur permettrait d’obtenir des subventions ou des dons conséquents. Pourtant, le gouvernement et les entreprises dépensent chaque année des dizaines de millions de dollars en lobbying afin de combattre ces petits opposants locaux qu’ils ont surnommé avec mépris les « Nimby’s » – « Notln My Back-Yard » .
David Steinman s’est préoccupé de ce qui se passait près de chez lui après avoir constaté que son propre corps contenait une quantité anormale de produits chimiques nocifs. Son livre sur la contamination par les pesticides a été l’objet de cette vaste campagne hostile menée par des agences de lobbying que nous relatons dans les premières pages de cet ouvrage. Notre chapitre sur l’énergie nucléaire commence par les mésaventures de Judy Treichel, habitante de Las Vegas qui s’est battue pendant des années pour que les déchets nucléaires ne viennent pas polluer sa commune. Au niveau national, aucun groupe écologiste ne se préoccupe du déversement des eaux usées sur les terres cultivables, ni des risques des fameux « biosolides ». Les familles rurales, dont la santé ou les biens sont mis en danger par ces boues toxiques, et qui dépensent avec héroïsme leur temps et leur argent, sont la cible de nombreuses attaques du gouvernement et des lobbyistes des grandes entreprises.
Dans notre « arrière-cour » à nous – à Madison, dans le Wisconsin -, nous avons été témoins de plusieurs initiatives courageuses, lancées par des citoyens ordinaires, avec leurs défauts et leurs faiblesses, mais qui n’en ont pas moins abouti à des résultats extraordinaires. Il y a quelques décennies, un fermier du nom de John Kinsman tomba malade. Sans raison apparente, son état empirait de jour en jour. Assez perplexe, son médecin suggéra qu’il était peut-être victime d’un lent empoisonnement. John Kinsman cessa d’utiliser des pesticides dans ses champs et revint à des méthodes de culture bio plus traditionnelles et efficaces. Il retrouva la santé — puis il augmenta ses bénéfices, du fait de la suppression de produits chimiques coûteux. Il commença à s’interroger sur les pressions qu’exerçaient les grandes entreprises et les politiciens sur les fermiers. En 1985, il découvrit que Monsanto et d’autres sociétés d’élevage injectaient à des vaches des hormones de synthèse pour quelles produisent davantage de lait. Il entreprit de battre le pavé devant l’université du Wisconsin pour prévenir les étudiants que leur glace préférée était dopée aux hormones. Ce simple geste local de protestation devait déboucher sur un combat international, toujours d’actualité, pour défendre les droits des éleveurs et des consommateurs.
Les militants de Madison ne se sont d’ailleurs pas limités aux problèmes locaux. Dans les années 1980, les très anciennes relations du Wisconsin avec le Nicaragua ont abouti à une « politique étrangère municipale » qui prenait le contre-pied de la politique musclée du gouvernement fédéral. Une centaine de villes à travers le pays ont suivi, créant leur propre jumelage avec les communautés du Nicaragua déchirées par la guerre. Mark Falcoff, consultant travaillant pour le gouvernement américain, se plaignit amèrement de l’opposition qu’il rencontrait auprès des « petites mémés zinzin » qui venaient de découvrir le Nicaragua « à la porte de leur église» . Dans les années 1990, ces « petites mémés zinzin » se sont montrées plus tenaces et certainement plus efficaces que les « experts » de la trempe de Falcoff pour aider à résoudre les problèmes de l’Amérique centrale. Cecile Meyer, par exemple, assistante sociale à la retraite âgée de 71 ans, a investi l’argent de sa pension dans un projet qui propose des prêts à des communautés nicaraguayennes dans le besoin pour faciliter leur développement. « Cecile Meyer affirme quelle en retire des profits considérables – sur le plan financier, mais aussi éthique et spirituel, lit-on dans le National Catholic Reporter. Elle est l’un de ces nombreux investisseurs charitables et éclairés dont le nombre ne cesse d’augmenter aux États-Unis, et qui aident à la reconstruction du Nicaragua dans le cadre du Fonds d’aide au développement du Nicaragua »
Ces quelques exemples n’effleurent qu’à peine le sujet. L’engagement des simples citoyens au niveau local se développe dans tout le pays. Des Américains de plus en plus adultes réclament le respect de la démocratie et combattent sans hésiter les manipulations des lobbyistes. Ce sursaut local et ses succès les plus spectaculaires se concrétisent dans la lutte contre l’installation de décharges de produits toxiques ou d’incinérateurs de déchets industriels. Mark Dowie, qui a écrit un ouvrage sur le sujet, considère que la meilleure chance de réaliser un monde plus propre et plus sain, en instituant un équilibre durable avec la nature, repose sur cette nouvelle vague de « démocratie sur le terrain » : « Aujourd’hui, la volonté des citoyens de créer un environnement non toxique représente pour les pollueurs une menace beaucoup plus sérieuse que les mouvements écologistes officiels. Non seulement ces militants locaux s’organisent en réseaux, partagent leurs tactiques et réussissent à contrer la création de nouvelles décharges ou installations industrielles, mais ils refusent obstinément les capitulations et les compromis. Ils n’ont tout simplement pas le choix. Le mouvement prend une telle ampleur que le sigle “Nimby”, “Pas de ça chez moi”, peut désormais se lire “Niaby”, “Pas de ça nulle part” [“Notln Anybodys Backyard’]).»
Et si chacun de nous devenait un militant à son propre niveau ? Jane Morris, qui possède une longue expérience dans des associations de terrain, affirme qu’ainsi « vous comprendrez beaucoup mieux ce que signifie l’exercice du pouvoir. De même que vous apparaîtra beaucoup plus nettement la façon dont chaque citoyen, y compris vous-même, peut contribuer à un changement plus profond. L’action des nimbyistes ne constitue pas un obstacle mais un stimulant pour trouver des solutions durables plutôt que des palliatifs temporaires et souvent catastrophiques. Dans une action de ce genre, les gens jouent un rôle actif dans la définition de leur avenir et dans l’exercice du pouvoir, au lieu de se laisser conduire comme des moutons ».
Vidéo : « Non, Sire, c’est une révolution… »
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : « Non, Sire, c’est une révolution… »