Espions à louer : Les vaches high-tech de Monsanto
Comme Pagan International, MBD fournit des « renseignements sur les politiques publiques ». Et ses services ne sont vraiment pas bon marché. Les clients réguliers versent une provision comprise entre 3 500 et 9 000 dollars par mois. De plus, MBD produit parfois des études spéciales, telles que l’analyse, en 1989, du Conseil de préservation des ressources naturelles, l’une des principales organisations écologistes « respectables ». Chaque entreprise souhaitant obtenir ce rapport a dû payer 1500 dollars par exemplaire .
La société refuse de citer le nom de ses clients, mais un document interne de MBD déclare qu’ils « font presque tous partie des cent premières fortunes d’Amérique et six d’entre eux figurent dans les vingt premières » – dont Monsanto, DuPont, Philip Morris et Shell. Mike Miles, ancien PDG de Philip Morris, apprécie particulièrement le style très « guerre froide » de MBD. Selon le consultant Robert Dilen- schneider, Miles « a un appétit vorace pour l’espionnage, et il se tient toujours au courant des efforts de ses concurrents en ce domaine. Il prend tellement de précaudons que son service chargé de réserver et d’acheter les billets d’avion pour ses cadres dissimule la couverture des billets et qu’il demande à ses subordonnés de ne jamais discuter de l’entreprise lorsqu’ils sont en déplacement » !
MBD essaie d’être sur les listes de diffusion du maximum d’organisations possible. Ses employés lisent les bulletins d’information militants et d’autres publications pour être constamment à jour sur les questions controversées qui pourraient affecter leurs clients. Ces intérêts se sont élargis bien au-delà des questions de sécurité alimentaire qui préoccupaient Rafael Pagan et Jack Mongoven pendant le boycott de Nesdé. Selon les documents de MBD, sont inclus « les pluies acides, la propreté de l’air et celle de l’eau, les déchets toxiques et dangereux, l’énergie nucléaire, le recyclage, l’Afrique du Sud, les Nations unies, la situation en Europe de l’Est, la dioxine, l’agriculture biologique, les pesticides, la biotechnologie, le végétarisme, les groupes de consommateurs, la sécurité des produits, les espèces menacées, les déversements et fuites de pétrole ». L’information liée à tous ces sujets est passée au crible et analysée par des spécialistes de l’entreprise, qui la distillent ensuite dans des rapports et des mémos .
La brochure de présentation de MBD explique que cette recherche d’informations vise à construire des « fichiers détaillés sur les organisations et leurs dirigeants », en particulier « les groupes défendant l’environnement et les consommateurs, les Églises et les autres organisations qui cherchent à réaliser des changements politiques ». Le dossier de base sur une organisation contient 24 : son histoire, les biographies de ses principaux dirigeants, des renseignements sur ses sources de financement, ses relations avec d’autres groupes, ses publications et « un profil » évaluant la possibilité de marginaliser son impact sur les débats politiques ou d’en tirer profit
Pour rassembler de l’information, MBD a notamment recours aux services de taupes comme « Bud » Vestermark et Kara Zeigler. Kara entre en contact directement ou indirectement (au téléphone) avec les personnes quelle espionne. Elle se présente généralement comme une collaboratrice de Z Magazine ou l’amie d’une amie . Par exemple, en une seule journée, Kara a appelé un assistant de Russ Feingold (sénateur démocrate du Wisconsin), le docteur Michael Hansen (membre de l’Union des consommateurs, éditeur du magazine Consumer Reports) et un fermier du Wisconsin, Francis Goodman. Elle a effectué ses démarches dans le cadre d’une campagne de l’agence MBD pour recueillir des « renseignements » sur les groupes hostiles à l’utilisation d’une hormone de croissance recombinante pour les bovins (rBGH), un produit génétique qu’on injecte aux vaches laitières.
Monsanto, qui a inventé cette hormone, est l’une des plus importantes multinationales. Elle fabrique tout un éventail de produits chimiques, de médicaments et autres substances high tech – dont plusieurs sont dangereux, voire mortels. Monsanto a créé la plupart des polychlorobiphényles (PCB) — produits chimiques persistants utilisés dans le matériel électrique et dont on a démontré qu’ils provoquent des cancers et des malformations à la naissance. Monsanto est également le plus grand producteur mondial d’herbicides. Dans le domaine des produits de consommation courante, Monsanto fabrique la ligne Ortho d’articles d’entretien pour les pelouses, ainsi que NutraSweet™, substitut du sucre dont l’innocuité a été mise en cause par des observateurs attentifs à la sécurité alimentaire.
L’hormone de croissance bovine recombinante est le produit phare de Monsanto, qui cherche à prendre la tête de l’industrie naissante des biotechnologies. Conçue pour copier une hormone qui se reproduit normalement chez les vaches, la rBGH peut accroître la production de lait de 25 %. Monsanto a dépensé des centaines de millions de dollars en vue de la commercialiser. Elle a organisé un énorme battage publicitaire pour présenter les hormones artificielles comme une technologie miracle qui accroîtra la production de lait et diminuera les coûts des aliments pour les consommateurs.
En 1985, Richard Mahoney, PDG de Monsanto, estimait que le marché potentiel pour cette hormone, une fois approuvée par la Food and Drug Administration, représentait un milliard de dollars par an. Les enjeux pour l’industrie biotechnologique étaient encore plus élevés. D’autres géants de la chimie et de l’industrie des médicaments tels que Cyanamid, Eli Lilly, W.R. Grâce, Upjohn et Calgene avaient également investi des sommes colossales dans le développement des biotechnologies et voulaient suivre la même direction que Monsanto en introduisant leurs fruits, leurs légumes et leurs animaux de ferme génétiquement modifiés : des « frankenfoods », telles les vaches génétiquement modifiées de Bristil-Myers Squibb qui produisent les protéines du lait maternel humain ; les pommes de terre qui tuent les insectes nuisibles en produisant leur propre insecticide ; les tomates qui mûrissent lentement ; les courges résistant aux virus ; les plants de coton et de soja tolérant les herbicides ; l’hormone de croissance pour les cochons et la viande provenant de bétail cloné ; etc.
À partir de 1986, cependant, l’hormone de Monsanto rencontra une résistance internationale stimulée par la Fondation sur les tendances économiques animée par Jeremy Rifkin. Cette question attira l’attention d’autres opposants comme l’Union des consommateurs, la Société humaine des États-Unis, Food & Water Inc., et des associations paysannes de base. Les critiques de l’hormone artificielle soulevaient de nombreuses questions portant à la fois sur sa sécurité et sur les prétendus bénéfices qu’on pourrait en tirer :
- Les tests de Monsanto montraient eux-mêmes des niveaux élevés de mastite, douloureuse infection des pis chez les vaches à qui on avait injecté la rBGH. Selon les experts de la sécurité alimentaire, la fréquence accrue de cette maladie forcerait les fermiers à utiliser davantage d’antibiotiques, qui risqueraient de contaminer le lait de la vache. Ce lait s’abîmerait plus rapidement parce qu’il contiendrait alors davantage de bactéries et posséderait un « taux plus élevé de cellules somatiques » (en termes clairs, cela signifie que le lait produit grâce à la rBGH contient « davantage de pus » ).
- Le docteur Richard Burroughs, qui a travaillé pour la Food and Drug Administration de 1985 à 1988, a analysé les tests fournis par Monsanto et les autres sociétés engagées dans la création de la rBGH. Ses analyses l’ont convaincu que les sociétés concernées manipulaient les données. En 1989, Richard Burroughs fut licencié après avoir témoigné devant le Congrès et accusé ses supérieurs de dissimuler cette information .
- Les vaches traitées avec la rBGH avaient besoin de consommer davantage de protéines, souvent sous la forme de protéines animales provenant de carcasses de vaches ou d’autres animaux morts. Les vaches qui consomment des produits d’origine animale sont susceptibles de développer une encéphalopathie spongiforme bovine, plus connue sous le nom de « maladie de la vache folle ». Cette maladie a frappé durablement la Grande-Bretagne et elle peut migrer des vaches aux humains sous la forme d’une démence fatale, la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
- L’augmentation de la production de lait grâce à la rBGH n’apparut pas comme une bénédiction pour les producteurs laitiers qui luttaient pour survivre dans un marché déjà saturé. Et elle supposait des investissements supplémentaires. Les petits producteurs laitiers, qui ne s’étaient pas encore remis de la hausse des coûts de production et de la baisse des prix du marché, s’inquiétaient : l’hormone artificielle menaçait leur niveau de vie et leurs moyens d’existence, déjà menacés par la concurrence des énormes conglomérats agricoles .
Face à cette opposition, Monsanto et ses alliés mobilisèrent tous leurs atouts. Ils embauchèrent la crème de la crème des agences-conseil et leur légion de lobbyistes : Hill & Knowlton, Burson-Marsteller, Edelman, Jerry Dryer & Associates, Manning, Selvage & Lee, Morgan & Myers, Porter/Novelli, Covington & Burling, King & Spalding et Foreman & Heidepreim. La campagne prévoyait des présentations à des producteurs laitiers et des vétérinaires, le contacts d’élus locaux et la distribution à la presse et aux « faiseurs d’opinion » de milliers de brochures, cassettes vidéo et autres matériaux favorables à la rBGH. L’Institut pour la santé des animaux, basé à Alexandria en Virginie, coordonna la campagne de communication. En trois ans, de 1988 à 1991, cet institut dépensa plus de 900 000 dollars pour promouvoir la rBGH.
En novembre 1990, les militants purent découvrir ce que signifiait une « recherche sur les opposants » pratiquée par les agences-conseil. L’Union des consommateurs, qui publie le magazine Consumer Reports, préparait un article très critique sur la rBGH lorsqu’elle reçut l’appel d’une femme se prétendant programmatrice à « Nightline », émission de la chaîne ABC. Cette personne contacta Michael Hansen, l’auteur de l’article, et demanda à lire le fruit de son enquête. L’inconnue prétendait que la rédaction de « Nighdine » s’intéressait aux investigations de Hansen afin d’organiser un débat autour de la rBGH et elle demanda à son interlocuteur de lui envoyer son CV. Saisi d’un soupçon, Hansen téléphona à un ami chez ABC pour retracer l’origine de l’appel. Ce dernier, David Sostman, qui travaillait aux archives vidéo d’ABC News, découvrit qu’aucun membre de l’équipe de « Nighdine » n’avait contacté Hansen. Intrigué, Sostman retrouva l’origine de son mystérieux appel : « Elle a prétendu appeler des bureaux d’ABC mais son numéro de fax correspond à celui de Burson-Marsteller. »
Dans le cadre de cette vaste opération de lobbying, la coalition favorable à la rBGH utilisa des groupes de sondés et des groupes témoins pour déterminer l’attitude de l’opinion vis-à-vis des produits laitiers provenant de vaches traitées aux hormones de croissance. Les résultats furent décourageants. Les sondages montraient que la majorité des consommateurs doutaient des industriels jurant que le lait produit grâce à la rBGH serait identique au lait traditionnel. Une large majorité, notamment les parents d’enfants âgés de moins de dix- huit ans, exprimèrent la peur que les effets dangereux de la rBGH ne soient découverts que bien plus tard.
À la fin de 1989, les médias s’intéressèrent de plus en plus à la rBGH. Et la consommation de lait commença à décliner. La Coalition de l’industrie laitière, favorable à l’hormone de croissance, réagit en créant des numéros verts pour les consommateurs et en désignant 250 « experts régionaux » (médecins, nutritionnistes et scientifiques spécialistes du comportement animal, etc.) qui contactèrent les médias. La coalition envoya plus de 5000 « kits d’information » aux détaillants de produits laitiers, associations professionnelles locales ou nationales, médias locaux et nationaux spécialisés, destinés aux consommateurs et aux membres de l’Association nationale des rédacteurs scientifiques. Elle rassembla des membres de l’Association américaine des pédiatres et des Instituts nationaux de santé. L’Association nationale des médecins publia un éditorial (écrit par des scientifiques qui avaient reçu des bourses de recherche de Monsanto) prétendant que toutes les preuves disponibles montraient que la rBGH était sûre…
Le Bureau national pour la recherche et la production laitières, institution quasi gouvernementale, participa également à la campagne. En théorie, celle-ci est censée promouvoir les intérêts des producteurs laitiers. Son budget annuel de 75 millions de dollars provient des exploitants agricoles sous la forme de prélèvements obligatoires sur les ventes de lait. L’association proclama publiquement sa « neutralité » en ce qui concerne la rBGH. Mais des documents internes obtenus grâce à la loi sur la liberté de l’information ont révélé quelle coopérait avec Monsanto.
Vidéo : Espions à louer : Les vaches high-tech de Monsanto
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Une réponse pour "Espions à louer : Les vaches high-tech de Monsanto"
Impressionnant !
Cependant ne pouvant juger que ce que je connais bien j’aimerais apporter quelques précisions concernant les vaches laitières. D’abord on dit mammite et pas mastite. Le terme mastite est une traduction littérale de l’anglais, probablement par qq’un qui ne connaît pas le domaine. Ensuite les cellules somatiques ne sont en aucun cas du « pus » mais bien d’une part des leucocytes qui interviennent dans la lutte contre une agression extérieure, et d’autre part des cellules épithéliales provenant de l’érosion naturelle du tissu mammaire. Leur grand nombre dans le lait est un indicateur d’inflammation de la mamelle mais pas une preuve (il y a des vaches 100% saines qui présentent un comptage cellulaire élevé). Il n’y a ps non plus de lait exempt de cellules, ça n’existe pas! Je vous invite à visiter un site comme le NMC (National Mastitis Council) qui apporte bcp d’info à ce sujet. Concernant la consommation de protéine supplémentaire, c’est normal. Si la vache produit plus, elle doit être alimentée en fonction de sa production. Ce n’est pas parce que ses besoins sont plus importants qu’on va la nourrir avec des produits de mauvaise qualité. Sans vouloir évacuer le problème des farines animales, ce sont deux sujets distincts. Lors de la crise notamment en UK, ce n’étaient pas uniquement les hautes productrices qui recevaient des farines animales. Cette affirmation est un raccourci. Au fil de l’article je ressens un malaise car j’ai de plus en plus l’impression qu’il s’agit de convaincre plus que d’informer, et ce au prix d’une liberté importante par rapport à la vérité vraie. Dommage, je trouvais que le début était accrocheur, puis j’ai eu l’impression de lire de la propagande.