Le centralisme démocratique
À l’instar de la Coalition chrétienne, les grandes entreprises conçoivent des stratégies pour conquérir « la base », mobiliser les masses dans des campagnes politiques tout en contrôlant efficacement les « véritables » débats politiques, finalement tranchés par une élite. Intervenant au cours du même congrès que Ralph Reed, Neal Cohen, responsable des consultants politiques chez APCO Associates à Washington, a expliqué la relation qui existe, selon lui, entre « une base large d’adhérents » et un processus de décision entièrement centralisé : « À la base, les membres s’intéressent à des questions comme : Que pense l’opinion ? Que font les élus ? Mais le processus de décision en lui-même mobilise seulement un groupe de trois ou quatre personnes qui ont des intérêts semblables et vont faire le boulot sans flancher.»
Un autre intervenant, Michael Dunn dont l’agence-conseil est basée à Washington, a défendu la même position : « Un programme destiné aux citoyens de base ne vise pas à les inciter à s’impliquer davantage dans le système politique. Il n’a qu’un seul objectif : influencer la politique du parlement local. Bien sûr, que vous le vouliez ou non, vous allez être impliqué dans ce processus politique. Mais une seule question compte : allez-vous gagner ou perdre ? Et si vous n’avez pas conçu un projet destiné aux électeurs de base, vos chances de gagner sont sacrément diminuées. » Heureusement, nous rassure Dunn, les grandes sociétés peuvent utiliser les mêmes techniques que la Coalition chrétienne. Tout d’abord, les entreprises doivent systématiquement développer une propagande politique vis-à-vis de leurs salariés, leurs retraités, leurs vendeurs et leurs clients. L’objectif de cet endoctrinement est de sensibiliser la majorité des employés : « L’État exerce une influence sur leur vie, leur travail, et il faut leur faire comprendre qu’ils doivent jouer un rôle dans ce processus. » Pour compléter cette « formation » de la « base », Dunn a proposé de mettre en place un « programme de contacts clés » afin de recruter, dans chaque service important, des employés « en vue de développer une relation personnelle de qualité avec l’élu dont ils sont chargés. Pour parvenir à ce but, le contact clé doit adhérer à l’organisation politique de son élu local, réussir à faire partie de son personnel de campagne et intégrer le cercle restreint auquel il appartient ». Dunn prône une stratégie interne « d’influence par le haut ». En clair, les grandes entreprises conseillent à leurs employés, s’ils veulent garder leur boulot et grimper dans la hiérarchie, de devenir des cadres politiques pour leur boîte, de nouer des relations amicales avec les élus, de devenir les yeux et les oreilles de leur chef d’entreprise en ce qui concerne la politique locale. Dunn a même suggéré que le personnel chargé du recrutement mentionne « les responsabilités des contacts clés lorsqu’il décrit les attributions des postes à pourvoir ». (Dunn n’a bien sûr pas évoqué ce qui arrive aux salariés qui échouent à appliquer ce « programme ».)
Une telle disposition touche au statut des libertés politiques et à l’intégrité des institutions démocratiques. Une telle « mobilisation des citoyens de base » aboutit en fait à mettre en place un système de commandement extrêmement hiérarchisé. Les salariés ne sont plus des citoyens qui choisissent et défendent ce qu’ils considèrent juste ou désirable sur le plan politique mais des individus qui votent pour les personnes sélectionnées par leur employeur et défendent des idées correspondant aux intérêts politiques de leur patron. Pour Dunn, « les agents de terrain » sont en fait les petits soldats de l’entreprise : leur loyauté joue un rôle essentiel si la firme veut remporter la victoire dans l’environnement concurrentiel actuel. « Il s’agit d’une bataille, mes amis. Un général allemand a un jour déclaré que la politique ressemblait à une guerre sans armes. Si vous pensez que vous n’êtes pas en guerre en ce moment, c’est que vous n’êtes pas encore descendus dans les tranchées. Il s’agit bien d’une guerre. En dernière instance, chaque entreprise de ce pays doit engager un programme dirigé vers les masses. Tant que nous n’aurons pas réussi à nous faire comprendre de la totalité de nos concitoyens, nous perdrons nos combats sur le marché politique. »
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